"Devant les attentats, le gouvernement est tétanisé"
Après l’assassinat de deux policiers chez eux et les attentats d’Orlando, l’actualité nous rappelle que l’organisation État Islamique a déclaré la guerre à l’Occident, et que la nécessité d’endiguer la spirale de la violence demeure une priorité. Pour nous éclairer sur l’état du terrorisme aujourd’hui, Contrepoints donne la parole à Xavier Raufer. Xavier Raufer est directeur des études au département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l’université de Paris II. Il est l’auteur de plus d’une vingtaine de livres consacrés à la criminalité et au terrorisme.
Deux policiers viennent de se faire assassiner au couteau, chez eux, par un terroriste au passé criminel déjà chargé. Pourquoi les pouvoirs publics n’ont-ils pas mis en garde la population ? Les menaces de l’EI, qui est officiellement en guerre contre la France, n’étaient-elles pas claires ?
Depuis janvier 2015 et les attentats visant Charlie, l’hyper-cacher, etc., le gouvernement est tétanisé et en partie paralysé. Systématiquement, il réagit après-coup, il touche au dispositif antiterroriste – mal, en le compliquant encore – quand les cadavres jonchent les rues de Paris ; il interdit l’alcool lors des matches de l’Euro de football quand le centre de Marseille a déjà été ravagé, etc. On a clairement le sentiment que ce gouvernement court après les événements mais ne les maîtrise pas – pire encore, les comprend mal.
Le profil du suspect, Larossi Abballa, correspond presque parfaitement à celui du terroriste radicalisé, condamné et ayant séjourné en Afghanistan et au Pakistan. Comment quelqu’un fiché comme djihadiste peut-il être relâché dans la nature sans suivi ?
Pour l’essentiel, du fait que son idéologie l’aveugle encore. En voici un exemple précis : en mars 2015, à la conférence sur la prévention de l’extrémisme violent de Genève, le secrétaire général du comité interministériel (français) de prévention de la « délinquance » décrit les terroristes comme des « jeunes en situation d’échec social, de fragilité psychologique, de marginalisation ». C’était d’ailleurs déjà la « ligne du parti » au comité interministériel « Égalité et citoyenneté » de mars 2015, trois semaines après Charlie Hebdo et l’Hyper-cacher : le terrorisme djihadi est d’origine sociale et disparaîtra avec « l’apartheid territorial, social, ethnique » qui accable nos banlieues.
Or cette hypothèse genre « culture de l’excuse » est fausse – et cela a déjà été prouvé voici 14 ans ! Après les attentats du 11 septembre 2001, la Maison Blanche veut savoir : la misère sociale génère-t-elle la terreur ? Cette explication (celle de notre gouvernement) permettrait-elle de prévenir ou résorber le terrorisme ? Cette recherche est confiée à l’un des grands économistes mondiaux, le professeur Alan B. Krueger, docteur en économie de Harvard, titulaire de la chaire d’économie de l’université de Princeton et membre du fort officiel National Bureau of Economic Research.
Elle étudie des groupes terroristes palestiniens ou libanais, des réseaux terroristes juifs des territoires occupés, des groupes terroristes allemands, italiens, irlandais, japonais, turcs, etc. De multiples tableaux, dix pages de références et de sources. Conclusion : « Les données analysées exposent peu de liens directs entre pauvreté, éducation et activisme terroriste » – dans les pays étudiés, les deux-tiers des terroristes identifiés sont d’origine bourgeoise ! – « On ne trouve nul lien entre pauvreté et terrorisme et pas d’indice contradictoire fort… Nulle origine sociale spécifique, nul niveau d’enseignement donné ne semble prédisposer au terrorisme ».
Cela, le gouvernement l’ignore. Il se cramponne à ses lubies et trop souvent, ignore le réel criminel et terroriste.
Le management par la terreur de l’EI fonctionne à plein rendements, surtout après la tuerie d’Orlando. Faut-il s’attendre à d’autres incidents tragiques dans les semaines à venir ? Ce management par la terreur n’est-elle pas en train de masquer le recul de l’EI sur le terrain ?
Prudence avec l’affaire d’Orlando, dont la genèse semble fort trouble. Plus largement, lutter contre l’État islamique exige d’en revenir à « Connais ton ennemi », un crucial fondamental connu depuis l’antiquité chinoise (le stratège chinois Sun Tzu, six siècles avant notre ère). Nos officiels connaissent-ils bien l’État islamique ? Non ce qu’il FAIT mais ce qu’il EST ? Ce n’est pas sûr. Or, penser qui est l’ennemi oblige à concevoir la nature, l’essence, de L’E.I.. Une entité se disant « islamique », dont nul vrai dirigeant n’est islamiste ? Un « groupe terroriste » doté de plus de tanks que l’armée française ? Une « guérilla » se disant un « État » ? Loin d’être futiles, ces étonnements relèvent d’une absolue exigence : « Ne pas comprendre la nature d’un mal qui vous menace est une situation hautement périlleuse. Comment pourrait-on s’imaginer avoir triomphé de ce dont on n’a pas compris la nature ? » (Entendre Heidegger, François Fédier, Le Grand Souffle 2008).
Source : Contre Points
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