La Russie : une abonnée au canal de Suez
Le blocage du canal de Suez occasionné par l’enlisement du navire de transport Ever Given aura été l’occasion d’une piqûre de rappel de la vulnérabilité des flux de marchandises face à des goulets d’étranglement. La paralysie du trafic maritime n’aura pas épargnée les bâtiments russes : la corvette Stoykiï et le tanker Kola (flotte de la Baltique), de retour de leur déploiement dans l’océan Indien, se sont retrouvés pris dans l’embouteillage causé par l’Ever Given.
Axe incontournable pour relier les ports de la façade occidentale de la Russie à ceux d’Extrême-Orient, le canal de Suez reste très emprunté par les navires marchands et de transport russes ou en provenance de Russie. Rappelons que l’interface mer Noire est le premier débouché pour les exportations russes par voie de mer (252 Mt en 2020) notamment à travers le premier port de Russie, Novorossiïsk (141,8 Mt en 2020). Selon les données du Suez Canal Authority (SCA) qui administre le précieux axe maritime, la région de la mer Noire est d’ailleurs à l’origine de près de 10% du flux de bâtiments qui se présentent chaque année à l’embouchure Nord du canal (tous pavillons et tous types de navires confondus). Si le pavillon russe se classe très loin derrière ceux de Panama, Liberia et autres Îles Marshall, flirtant en général avec la 50ème, voire la 60ème place sur la centaine de pavillons qui franchissent le canal de Suez annuellement, il en va en revanche autrement si l’on regarde l’origine des bâtiments et de leur cargaison.
En 2019, les navires marchands et de transport en provenance d’un port russe totalisaient 6% du tonnage global ayant franchi le canal, soit environ 62 Mt. C’est peu et beaucoup à la fois : jusqu’à 2017, le tonnage « Russie » était inférieur à 5% du total annuel, et n’apparaissait pas dans les relevés du SCA. Depuis 2017, c’est le cas. Si l’on s’intéresse aux marchandises transportées, on constate qu’en 2019, les tankers en provenance de Russie franchissant le canal dans le sens Nord-Sud donc, représentent 26,1% du total du flux annuel de navires transportant du pétrole et des produits pétroliers (33,2 Mt). La Russie se classe ainsi en 2019 comme le premier pays émetteur de flux de transport sur ce segment de marchandise en 2019. En ce qui concerne les céréales, ils représentent 21,4% du flux total pour 2019, c’est à dire 11,3 Mt de marchandises (2ème pays émetteur derrière l’Ukraine). L’origine Russie se classe aussi dans les 10 premiers pays pour les exportations de charbon et d’engrais depuis la seconde moitié des années 2010.
Si l’on regarde la tendance depuis 2009, on constate une montée en puissance du trafic maritime en provenance de Russie à travers le canal de Suez d’une manière générale, et en particulier concernant le transport de pétrole et de produits pétroliers, ainsi que sur les flux de cargaisons céréalières. À 300 000$ de frais de péage payés en moyenne par passage, cela représente une manne considérable pour le gouvernement égyptien. Depuis 2014 et l’arrivée au pouvoir du maréchal Sissi, on constate une augmentation drastique du flux de tankers en provenance de Russie ce qui amène à supposer que le paiement de frais de transit constitue une donnée de la relation russo-égyptienne.
Autre question qui a surgi à l’occasion de l’échouage de l’Ever Given : le « débat » autour de la substitution de l’axe de la Route maritime du Nord (RMN) à celui du canal de Suez. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2020, la RMN a vu transiter 33 Mt de marchandises, et l’objectif est d’atteindre les 80 Mt en 2025. Le canal de Suez a vu défiler en 2019 près de 1,2 milliard de tonnes de marchandises transportées par environ 19 000 navires. Autrement dit : les deux axes ne jouent donc pas dans la même catégorie.
Source : rusnavyintelligence.com