Le fossé se creuse entre Bruxelles et Orban : « On n’attend pas que l’UE nous dise ce qu’on a le droit d’utiliser »
En butte au harcèlement de la Commission européenne et du PPE, Viktor Orban, le Premier ministre hongrois, affiche son intention de refonder la droite européenne. Selon Ferenc Almássy, rédacteur en chef du «Visegrád Post», le Fidesz devrait rejoindre le groupe des Conservateurs et réformistes européens.
«S'ils allaient chercher le vaccin chinois ou russe, je pense que ce serait grave», a déclaré Clément Beaune, le secrétaire d'État chargé des Affaires européennes, le 5 mars sur RTL, à propos de certains pays d’Europe centrale et orientale qui ont manifesté leur intérêt pour ces deux vaccins. Mais il est trop tard. Prague a déjà commandé le Sinopharm. Budapest a pris les devants en administrant à sa population le Spoutnik V dès le 12 février. Sans attendre le feu vert de l’Agence européenne du médicament (EMA). Viktor Orban, le premier ministre hongrois, s’est même fait vacciner avec le Sinopharm. Un nouveau pied de nez aux institutions européennes? Ferenc Almássy, rédacteur en chef du Visegrád Post, ne mâche pas ses mots: «On n’attend pas que l’UE nous dise ce qu’on a le droit d’utiliser.»
«Les attaques de la Commission européenne» contre la Hongrie
Cette nouvelle passe d’armes illustre les tensions entre Bruxelles et Budapest. Le malaise dure depuis de nombreuses années. Il concerne plusieurs dossiers: les réformes sur l’État de droit, le refus des quotas de migrants lors de la crise de 2015, les déclarations en faveur de la peine de mort et, plus récemment, le blocage du gigantesque plan de relance européen. «Il y a eu des attaques de la Commission européenne sur de très nombreux fronts», rappelle Ferenc Almássy. Tout récemment, en février dernier, Bruxelles a donné deux mois à Budapest pour revoir sa loi sur les ONG, jugée non conforme au droit de l’UE.
De telles divergences s’expliquent. Au pouvoir depuis 2010, le Fidesz, le parti politique de Viktor Orban, a suivi une «droitisation» tandis que le Parti populaire européen (PPE) a observé au contraire durant la dernière décennie, «un virage très marqué vers la ligne progressiste». Avant d’en être formellement exclu, le chef du gouvernement hongrois a donc préféré prendre les devants, en quittant le PPE le 3 mars. Ce groupe politique de centre droit est majoritaire au Parlement européen. En font notamment partie Les Républicains (LR) pour la France.
Alors que Budapest est visé par une procédure de sanctions depuis 2018 pour «violation des valeurs de l’UE», de nombreux eurodéputés du PPE avaient appelé à l’exclusion du Fidesz. En 2019, la droite européenne sanctionnait une première fois le dirigeant magyar en suspendant sine die son parti à une écrasante majorité. Procédure le privant de ses droits de vote. La nouvelle de ce départ du groupe européen a ainsi été accueillie avec un «grand soulagement» par les partisans du gouvernement hongrois, explique Ferenc Almássy:
«En Hongrie, les éditorialistes pro-Fidesz ont célébré cette décision. Le mot d’ordre de la journée, c’était: “Enfin!” Enfin, on se coupe d’un groupe parlementaire qui a viré de plus en plus vers la gauche, qui donne de plus en plus de gages aux progressistes, aux européistes et qui renie la démocratie chrétienne, en tout cas telle que la conçoivent Viktor Orban et son parti.»
Pour ses mesures concernant la justice et les médias, la Hongrie a été accusée en 2020 d’être une «démocratie malade» par Vera Jourova, commissaire européen en charge de l’État de droit. Aussitôt, Viktor Orban a demandé sa démission et indiqué qu’il rompait tout lien avec la vice-présidente de la Commission. Le Premier ministre hongrois a également dénoncé ses liens avec notamment «les réseaux de George Soros», comme l’évoque le rédacteur en chef du Visegrád Post.
Si la figure du controversé milliardaire est souvent utilisée à outrance, Ferenc Almássy constate néanmoins que George Soros a «les moyens d’influencer des politiques européennes et qu’il le fait depuis de très nombreuses années». Soros, qui est président de l’Open Society Foundation, signait d’ailleurs dans L’Écho une tribune en novembre 2020 appelant l’Europe «à tenir tête à la Hongrie et à la Pologne».
«La famille, la nation, la souveraineté»
La conception illibérale défendue par Viktor Orban ferait-elle alors de la Hongrie une «démocratie malade»? S’il s’agit d’une «jeune démocratie» qui a «beaucoup de choses à améliorer», le journaliste franco-hongrois réfute cette appellation:
«C’est un pays et un régime politique qui est beaucoup plus légitime, beaucoup plus fonctionnel et où le peuple a beaucoup plus son mot à dire qu’aujourd’hui, par exemple, en France. Pour moi, la France est aujourd’hui très clairement une démocratie malade, pas la Hongrie.»
Selon Ferenc Almássy, le Premier ministre hongrois défend un modèle européen traditionnel, «la famille, la nation, la souveraineté», couplé à un conservatisme de pays postsocialiste. Résultat: «Le Fidesz, avec le PiS polonais, est de plus en plus classé à l’extrême droite.» Les deux partis sont régulièrement associés, notamment dans le groupe de Visegrád, et frappés également par la procédure dite de «l’article 7», déclenchée par le Parlement européen. «C’est certainement l’allié le plus solide et le plus solide de Viktor Orban», note Almássy. Il serait donc logique que le Fidesz rejoigne le groupe des Conservateurs et réformistes européens (CRE) dont fait déjà partie le PiS.
«Il est certain que Viktor Orban a un plan, il n’a pas quitté le PPE sans projet», explique notre interlocuteur. Son plan, il l’a d’ores et déjà exposé le 5 mars, c’est la refondation de la droite européenne, donc à la droite du PPE, avec «les Polonais» et la Ligue de Matteo Salvini. Le Premier ministre hongrois a ainsi appelé de ses vœux à la création d’une famille politique pour ceux qui «protègent la famille, défendent leur patrie» et réfléchissent «en termes de coopération entre États-nations plutôt qu'en termes d'empire européen».
Source : Sputnik