«C'est moche pour la démocratie» : LREM a remis une nouvelle fois en cause un vote à l'Assemblée
Le rapporteur de la loi sur le financement de la sécurité sociale a refait voter un amendement qui voulait sanctionner fortement les entreprises pratiquant la fraude fiscale et sociale. L'opposition s'est déclarée «consternée» par la méthode.
La journée du 24 octobre a été marquée par de nombreuses tensions au sein de l'Assemblée nationale. Lors des débatsautour du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l'année 2020, le rapporteur général, le député de La République en marche (LREM) Olivier Véran, a utilisé l'article 101 du règlement de l'Assemblée nationale pour demander une deuxième délibération sur un amendement non soutenu par le gouvernement, mais approuvé par l'Assemblée nationale. Cet amendement, le 948 de l'article 13, a été proposé par le député communiste (PCF) Alain Bruneel. Il souhaitait sanctionner plus durement les entreprises qui pratiquaient la fraude sociale et fiscale en supprimant leurs exonérations sur les charges. La présidente de la séance, Annie Genevard (Les Républicains), a été surprise, lorsque l'amendement a été mis aux voix dans la matinée, de constater que la majorité n'a pas daigné lever la main pour rejeter l'amendement. Voyant qu'ils avaient fait une bourde, les macronistes ont commencé à pester, en vain. L'amendement a été adopté.
Ne pouvant accepter un tel amendement, Olivier Véran, rapporteur de la loi a demandé une seconde délibération, pour l'après-midi, sur une partie de l'article 13. Il a jugé que l'amendement a été voté alors qu'il y a eu «un flottement dans l'Hémicycle», et que «les mains ne s'[étaient] pas levés» pour le refuser. Il a ainsi utilisé l'article 101 du règlement de l'Assemblée nationale qui précise que «la seconde délibération est de droit à la demande du gouvernement ou de la commission».
Sur le fond, Olivier Véran a aussi précisé que le texte proposé prévoyait «la modulation des pénalités pour les entreprises en cas de travail dissimulé», avec la possibilité pour les inspecteurs de l'Urssaf de les «moduler». «Cette majorité estdéterminée à lutter contre le travail dissimuler», a-t-il ajouté, assurant que désormais les sanctions pourront être appliquées car traitées notamment «au cas par cas».
Cela n'a pas calmé les différentes oppositions. Elles ont évoqué plusieurs problèmes sur la forme et le fond. Le député PCF Pierre Dharréville, par exemple, s'est déclaré «consterné devant cette opération» : «Je comprends que vous ayez été un peu vexé que le vote n'aille pas dans votre sens monsieur le rapporteur mais vous avez demandé cette seconde délibération au nom de la commission, qui ne s'est pas réunie à ma connaissance. Je ne sais pas d'où vient cette demande. [...] Je ne pense pas que ce vote ait été entaché de flou, qu'il ait été consécutif à un trouble de notre Assemblée. C'est un amendement important puisque, dans le texte, il est finalement proposé d'assouplir un certain nombre de sanctions à l'encontre de celles et ceux qui pratiquent la fraude patronale aux cotisations sociales. C'est donc une forme d'encouragement à ce type de pratiques et, en plus, c'est un manque à gagner dans le budget de la sécurité sociale.»
Vous êtes en train de faire comprendre que le Parlement ne sert à rien
La député de La France insoumise (LFI), Caroline Fiat, a aussi exprimé sa «consternation», contestant le fait que ni la commission, ni le bureau n'ont été réunis pour discuter d'une deuxième délibération : «Déjà pendant la loi bioéthique, il a fallu une deuxième délibération [concernant la reconnaissance de la filiation des enfants nés par GPA], pendant le projet de loi de finances [...] il a fallu une deuxième délibération... Dès que ça ne va pas dans le sens du gouvernement ou du rapporteur, il faut une deuxième délibération.» «Si systématiquement, une [proposition] de l'opposition, qui a été votée, vous demandez une deuxième délibération, je vous invite à travailler entre vous [et il n'y a] plus besoin de l'opposition», s'est-elle inquiété. «C'est très moche pour la démocratie», a complété Caroline Fiat qui a, en outre, argumenté sur l'inutilité d'une telle procédure : «En plus, on sait très bien qu'il y aura une deuxième lecture. Vous auriez pucorriger à la deuxième lecture au retour du Sénat. [...] Vous êtes en train de faire comprendre que le Parlement ne sert à rien, ce qui n'est pas le cas. Je vous invite à faire attention à ceque vous faites.»
Fermez l'Assemblée nationale [...] à quoi ça sert si lorsqu'il y a des votes, vous ne les respectez pas en faisant re-délibérer
Le député LFI Adrien Quatennens a aussi pesté : «Est-ce encore l'Assemblée nationale ou est-ce un théâtre en décor de carton-pâte ? [...] Ce matin, vous avez été battus sur unamendement important à propos de l'exonération fiscale et sociale. Puisque le vote ne vous satisfait pas, puisqu'il ne vapas dans le sens de l'objectif celui de l'Assemblée, c'est-à-dire d'être en fait une imprimante des desiderata du monarque présidentiel [...] nous sommes rappelés dans l'après-midi à re-délibérer. A quoi servons-nous ? A ce train-là, vous avez raison, fermez l'Assemblée nationale [...] à quoi ça sert si lorsqu'il y a des votes, vous ne les respectez pas en faisant re-délibérer.»
Quand ça arrange la majorité, il y a une nouvelle délibération, quand ça ne vous arrange pas, il n'y a pas de nouvelle délibération
A droite, le député Les Républicains Thibault Bazin s'est adressé à la ministre de la Santé Agnès Buzyn : «Ce qui me questionne Madame la ministre... On était ensemble il y a quelques semaines, ici. Un vote a été contesté [...] On a demandé une seconde délibération. [...] On sait que c'est la commission ou le gouvernement qui peut la mettre en place etcela n'a pas été fait. Moi ce qui me dérange, dans ce moment de démocratie, c'est que, quand ça arrange la majorité, il y a une nouvelle délibération, quand ça ne vous arrange pas, il n'y a pas de nouvelle délibération. Je ne voudrai pas qu'il y ait [deux] poids deux mesures et que ça puisse devenir une pratique à chaque fois. Sinon, ça biaise totalement les conditions d'examen des textes et on donne un mauvais regard sur notre démocratie.» Dans cette déclaration, Thibault Bazin a certainement évoqué le gros couac à l'Assemblée nationale, lorsque le président au perchoir, Richard Ferrand, a décidé d'adopter, le 25 septembre, un amendement sur la PMA pour toutes alors même que les députés ont semblé voter majoritairement contre. Les Républicains avaient de fait demandé une nouvelle délibération pour trancher, qui a été refusée par Richard Ferrand.
Hier le gouvernement a été battu, ce matin également sur d'autres votes, une deuxième délibération n'a pas été demandée
La vice-présidente de l'Assemblée nationale, Annie Genevard a toutefois confirmé peu après la bonne légalité de la procédure : «On considère que le rapporteur général a mandat, au fond, de la part de la commission [...] il y a de nombreuses jurisprudences en la matière.»
Olivier Véran a aussi rappelé que, quelques minutes plus tôt, le gouvernement avait été battu sur une délibération, et que celui-ci n'avait pas demandé une deuxième délibération. Il a ensuite allongé la liste : «Hier le gouvernement a été battu, ce matin également sur d'autres votes, une deuxième délibération n'a pas été demandée. Ces votes se sont faits à la régulière mais sur celui-ci on a été sur un moment de flottement.»
En peu de temps, le gouvernement a, malgré tout, utilisé plusieurs fois l'article 101 pour remettre aux voix des amendements adoptés contre son avis, pour les faire rejeter par la suite. Les députés ont ainsi renoncé dans la nuit du 21 au 22 octobre au coup de pouce budgétaire à l'Agence nationale du sport qu'ils avaient voté quelques heures plus tôt. Une méthode qui a agacé plusieurs députés, à l'instar du député LFI Eric Coquerel, puisque ce second vote s'est déroulé à 3h20 du matin, à la toute fin de l'examen du premier volet du projet de loi de finances 2020. L'Assemblée avait alors voté à 29 voix contre 21 en faveur d'un amendement du gouvernement réclamant la suppression de cette mesure.
Le 3 octobre au soir, un amendement avait été également voté, reconnaissant en France la filiation d'enfants conçus à l'aide d'une mère porteuse dans un pays étranger (GPA), contre l'avis du gouvernement. Celui-ci avait brandi l'article 101, permettant une seconde délibération le 9 octobre, au cours de laquelle ce point a finalement été rejeté.
Source : RT France