La politique ethnolinguistique de l’Ukraine : chauvinisme et répressions

16.12.2021

Devenue indépendante fin 1991, l’Ukraine était initialement un État très multiculturel. Au cours du dernier recensement officiel de 2001, 17% se sont dits Russes, mais suffisamment d’informations indiquent que ces informations ont été rabaissées.

Même sans tenir compte des Hongrois, des Tatars et d’autres ethnies, il était évident qu’un État aussi hétérogène peut fonctionner plus ou moins normalement qu’avec une autonomie et une prise en compte intégrale des exigences et des particularités de ses principales parties, c’est-à-dire en étant de jure ou de facto une fédération, voire une confédération comme la Belgique, l’Espagne, le Canada ou le Royaume-Uni, où l’Angleterre, l’Irlande du Nord, le pays de Galles et l’Écosse possèdent leur propre équipe nationale.

Chaque président ukrainien commençait par promettre de tenir compte et de légitimer la diversité, tout en terminant par le nationalisme. Le passage radical des formes non radicales de nationalisme d’État au national-chauvinisme de facto légalisé avec des répressions ethnolinguistiques a commencé avec Petro Porochenko, plus exactement après le Maïdan de février 2014.

À noter que la première action du parlement ukrainien après cela a été l’annulation de la loi sur les fondements de la politique linguistique nationale, qui garantissait l’usage dans le pays de « langues régionales », c’est-à-dire de langues que, selon les recensements de la population, plus de 10% des habitants des régions concernées considèrent comme natale. Des structures européennes et des États concrets, notamment ceux qui se retrouvaient affectés par l’annulation de cette loi, ont exprimé leur mécontentement quant à la décision du parlement ukrainien.

La légalisation juridique de la discrimination était lancée à pleine vitesse. En septembre 2017, M. Porochenko a signé la nouvelle loi sur l’éducation adoptée par le Parlement ukrainien, selon laquelle à partir de CM2 les enfants des minorités nationales devaient étudier uniquement en ukrainien, tout en étudiant leur langue natale comme discipline à part. Une exception a été faite pour les « peuples autochtones de l’Ukraine », il s’agit notamment des Tatars de Crimée et des Karaïmes.

La position selon laquelle les Russes ne font pas partie des peuples autochtones de l’Ukraine a été exprimée a été en 2014 par le directeur du département de la politique d’information du ministère ukrainien des Affaires étrangères Evgueni Perebiïnis, qui a déclaré : « Quatre peuples autochtones vivent en Ukraine, dont l’ethnogenèse est liée au territoire de l’Ukraine – les Ukrainiens, les Tatars de Crimée, les Karaïmes et les Krymtchaks. Les trois derniers sont originaires du territoire de la Crimée, les autres sont une diaspora de peuples ayant des patries ethniques en dehors de l’Ukraine ».

Les choses ne se sont pas limitées à l’éducation. Le parlement ukrainien a adopté de nombreux amendements au projet de loi sur l’ukrainisation, qui prévoit un passage intégral de toute la vie dans le pays sur les rails linguistiques ukrainiens. De plus, la discussion en soi de la question sur le bilinguisme a commencé à être considérée comme un crime passible de 10 ans de prison. Cette loi a été adoptée par le parlement et elle est entrée en vigueur en juillet 2019, avec un sursis pour certains points.

Ainsi, la publicité a été ukrainisée à partir de janvier 2020. À partir de janvier 2021, tout le secteur des services est passé en ukrainien : le personnel des supermarchés, des cafés et des salons de coiffure est obligé d’entamer la conversation avec les clients seulement en ukrainien. De plus, toutes les étiquettes des marchandises ont été ukrainisées. Des amendes seront infligées aux entreprises qui ne respecteraient pas les normes prescrites. L’obligation des mesures coercitives a été reportée à l’été 2022.

En mars 2020, le président Zelensky a signé la nouvelle loi sur l’éducation secondaire intégrale prévoyant une réduction progressive de l’enseignement dans les langues des minorités nationales, avant tout en russe. Selon la nouvelle loi, il existera trois modèles d’enseignement de l’ukrainien national. Le premier concerne les peuples autochtones qui ne vivent pas dans leur milieu linguistique et « ne possèdent pas un État qui défendrait et développerait leur langue ». C’est une référence aux Tatars de Crimée qui ont la possibilité de faire leurs études dans la langue natale « avec un apprentissage approfondi de l’ukrainien ».

Le deuxième modèle est prévu pour les écoles des minorités nationales parlant les langues de l’UE. L’application de ce modèle dépendra du groupe et du milieu linguistique, mais la base est la suivante : les élèves pourront apprendre en langue natale et nationale à l’école élémentaire ; en CM2 au moins 20% du temps scolaire doit être imparti à l’enseignement de l’ukrainien avec une augmentation progressive jusqu’à 40% pour la troisième ; au moins 60% du temps scolaire annuel au lycée.

Le troisième modèle fonctionnera pour les autres communautés nationales de l’Ukraine. Il concerne les minorités nationales dont la langue appartient à l’une des langues apparentées à l’ukrainien ainsi que vivant principalement dans le milieu linguistique de la langue natale. Cela concerne avant tout le russe. Dans le cadre de ce modèle, l’enseignement à l’école primaire sera dispensé dans la langue de la minorité avec l’étude de l’ukrainien, et à partir de CM2 au moins 80% du temps scolaire sera imparti à l’enseignement dans la langue nationale.

En mai 2021, le thème des privilèges pour les « peuples autochtones » et de l’oppression de tous les autres a été étendu du secteur éducatif à toute la vie sociale et publique. Volodymyr Zelensky a soumis au parlement un texte sur les « peuples autochtones ». Ces derniers, hormis les Ukrainiens par défaut, incluent les Tatars de Crimée, les Karaïmes et les Krymtchaks. C’est-à-dire des ethnies dont le nombre sur le territoire ukrainien dans ses frontières actuelles s’élève à quelques milliers.

La loi prévoit pour eux des droits adéquats dans les domaines culturel, éducatif, linguistique et socioéconomique. Ils ont notamment obtenu la possibilité d’ouvrir leurs propres médias et établissements scolaires dispensant des cours dans la langue natale. Seuls les « peuples autochtones » peuvent compter sur un soutien juridique et financier de l’État. Il est mentionné qu’ils recevront des garanties et une protection juridique contre « toute action visant à priver des signes d’appartenance ethnique, d’assimilation forcée ou d’intégration quelle qu’en soit la forme, ainsi qu’une protection contre la haine raciale, ethnique ou religieuse à leur égard ». Le document a été finalement adopté par le parlement en juillet et rapidement signé par M. Zelensky.

Ce dernier a ensuite accordé une interview à la chaîne propagandiste Dom, qui est diffusée en Crimée, dans les Républiques populaires de Donetsk (DNR) et de Lougansk (LNR) autoproclamées. En parlant de la Crimée, M. Zelensky a longuement parlé de ses avantages touristiques et gastronomiques, sans mentionner démonstrativement les Criméens, leur volonté et leurs aspirations. Quant au Donbass, M. Zelensky a évité les insinuations pour appeler directement tous ses habitants porteurs de l’identité russe à partir au plus vite en Russie : « Le plus important dans cette histoire, c’est clairement comprendre pour soi : tu es Russe, tu es en Russie, je ne parle pas de nationalité mais du choix intérieur pour soi, ou tu es Ukrainien et c’est ta terre ? C’est ta patrie ou tu es un hôte ? Pour l’avenir de tes enfants et petits-enfants, si tu aimes la Russie et toute ta vie tu vivais sur le territoire de l’Ukraine en sentant que c’est la Russie, alors tu dois comprendre qu’au nom de tes enfants et petits-enfants tu dois partir et te chercher une place en Russie ».

« L’ombudsman linguistique » Taras Kremin a ajouté : « Ceux à qui la présence d’un chargé de la protection de la langue nationale, de la loi linguistique ne convient pas, à qui l’État ukrainien ne convient pas, formulez tout cela avant votre départ dans d’autres pays où, selon vous, vous vous sentirez à l’aise ». Ce même M. Kremin avait déclaré en janvier : « La question de réintégration du Donbass est une question de dérussification ou, en d’autres termes, d’ukrainisation ». Et récemment, en novembre, il a annoncé un changement de noms de toutes les communes du pays avec des appellations russes, y compris les petits villages.

Bien que les habitants russes de l’Ukraine et la langue russe demeurent les cibles principales des autorités, d’autres groupes ethnolinguistiques, particulièrement actifs dans la défense de leur droits et soutenus par leurs compatriotes étrangers, sont également touchés. Fin novembre 2020, le Service de Sécurité ukrainien (SBU) a perquisitionné le siège du Parti des Hongrois de l’Ukraine et l’appartement de son dirigeant Vassili Brenzovitch, ainsi que la Fondation hongroise de charité et l’Institut hongrois de Transcarpatie. Selon les forces de l’ordre, la police a retrouvé des documents de propagande du « séparatisme » et de la « Grande Hongrie », notamment des cartes où la Transcarpatie fait partie de cette « Grande Hongrie ». Quelques jours plus tôt a été publiée une vidéo où un inconnu en tenue de camouflage au nom de l’organisation extrémistes Pravy Sektor (Secteur droit) menaçait ouvertement les activistes hongrois et leur famille.

Ce qui est consternant, notamment au vu de la ligne pro-occidentale de Kiev et des racines juives de M. Zelensky, c’est la complaisance des autorités ukrainiennes envers l’antisémitisme. Cela s’exprime, par exemple, par la glorification de tueurs de dizaines de milliers de juifs ukrainiens. Le 8 mai 2021, à Lvov a été organisée une commémoration solennelle de la division SS Galicie. Le lendemain, le 9 mai, des néonazis ont collé à Lvov des affiches antisémites et ont profané un monument aux guerriers soviétiques.

Le 5 décembre, à Oujgorod, des inconnus ont démantelé et jeté dans un fleuve une menorah (symbole judaïque) érigée pour Hanouka. Cela pourrait être considéré comme un acte de vandalisme, mais le jour même Alexandre Choloveï, représentant du parti Patrie (qui fait partie du consensus d’extrême-droite après le Maïdan) dans la région de Khmelnitski (ouest de l’Ukraine), a déclaré qu’il était indigné par la célébration de Hanouka en Ukraine et que dans l’ensemble il respectait Hitler. Étant donné que plus tôt, devant le parlement à Kiev, a été officiellement affiché « l’Acte de proclamation de l’État ukrainien » adopté en 1941 par l’Organisation des Nationalistes ukrainiens de Stepan Bandera et contenant des mentions élogieuses du führer, les conclusions sont assez évidentes.

Conclusion : l’Ukraine actuelle est un pays de chauvinisme de plus en plus fort et de répressions ethnolinguistiques aussi bien au niveau de l’État qu’au niveau de l’encouragement silencieux ou de la négligence démonstrative par l’État. Sachant que la russophobie reste un noyau et une priorité de cette politique. 

 

source : http://www.observateurcontinental.fr

 

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