La Hongrie de Viktor Orbán vue par Thibaud Gibelin : la preuve qu’une autre Europe est possible
Par Michel Geoffroy, auteur de La Super-classe mondiale contre les peuples et La Nouvelle guerre des mondes ♦ L’ouvrage que Thibaud Gibelin vient de consacrer à Viktor Orbán, « Pourquoi Viktor Orbán Joue et Gagne – Résurgence de l’Europe Centrale »,bien écrit, ne manque pas d’intérêt. Diplômé d’Histoire et de Sciences Politiques Thibaud Gibelin connait bien la Hongrie en effet. Le parcours politique de Viktor Orbán est celui d’un dissident : d’abord contre le communisme dans les années 80 puis contre l’Europe libérale dans les années 2010. C’est pourquoi Viktor Orbán est une « page d’histoire, mais une page vivante dont la lecture ne nous offre pas seulement un aperçu précieux de l’histoire récente ; elle augure aussi des péripéties à venir ».
Mais son essai ne se borne pas à présenter une histoire de la Hongrie, de l’Europe centrale et à nous conter l’émergence politique de Viktor Orbán. Thibaud Gibelin tire donc toutes les conséquences géopolitiques et culturelles de ce qui se passe à l’Est de l’Union européenne. Car la Hongrie de Viktor Orbán et des pays du V4 montre qu’une autre Union européenne peut émerger un jour.
Europe d’ancien régime contre Europe illibérale
L’auteur l’affirme d’emblée : « J’entends contribuer à démontrer deux choses : on peut tirer son épingle du jeu dans l’Europe de 2020, même dans le cadre imparfait de Bruxelles ; un mouvement qui dépasse l’UE et lui survivra grandit en son sein ».
Son essai se présente donc tout autant, sinon plus, comme une réflexion sur le destin de l’Europe, que comme une analyse de la Hongrie de Viktor Orbán.
Thibaud Gibelin montre en effet que désormais deux Europe s’affrontent, autour de la personne de Viktor Orbán.
D’un côté celle qui, à l’Ouest, incarne désormais l’Ancien Régime, c’est-à-dire le vieux libéralisme/libertaire et cosmopolite, né dans la deuxième moitié du 20e siècle, et qui ne fait plus rêver personne sinon les milliardaires occidentaux. Ce que l’auteur nomme l’Europe carolingienne – l’Europe occidentale dirigée par l’Allemagne depuis l’effacement français – qui n’est plus à la hauteur de son droit d’aînesse car elle est en passe de faire sombrer toute l’Europe dans le mirage transatlantique et mondialiste.
Face à elle se dresse l’Europe de Višegrad « son alter ego, sa mauvaise conscience, son précurseur dans le nouveau siècle ».
Une Europe qui s’enracine dans une autre conception de la souveraineté, celle de l’empire austro-hongrois qui n’a pas suivi la voie ethno-nationale incarnée dans les nations de l’ouest européen mais s’est efforcé au contraire de contenir le déchaînement des revendications sécessionnistes qui, après 1919, ont fait sombrer l’Europe dans le chaos et la guerre.
Il s’agit bien d’une Europe illibérale, comme le lui reprochent les oligarques occidentaux et leurs valets d’arme médiatiques.
Cela signifie donc qu’il s’agit d’une Europe démocratique, alors que l’Ouest a décidé au contraire de faire primer sa conception mondialiste du libéralisme sur tout le reste, et donc de détruire la démocratie et les peuples européens.
L’Europe de Višegrad revendique hautement son caractère illibéral, sa culture et son identité chrétienne, quand l’Europe de Bruxelles renie ses racines chrétiennes pour complaire aux immigrants musulmans.
Une dissidence constructive
Thibaud Gibelin nous montre que le parcours politique de Viktor Orbán apporte un démenti à tous les pessimistes qui prétendent qu’on ne peut jamais rien faire dans le cadre du Système ou de l’Union uuropéenne. Car il incarne une option réaliste de dissidence tranquille et constructive.
En interne, après la victoire du Fidesz sur la gauche en 2010 (en obtenant la majorité des 2/3 au Parlement), Viktor Orbán a engagé une profonde réforme de son pays avec une assemblée nationale devenue véritablement constituante.
« Sous la législature 2010-2014, le Fidesz réorganise l’Etat pour en faire un instrument politique au service de la nation. Un outil qui permet à la Hongrie de jouer sur la scène européenne un rôle disproportionné vis-à-vis de sa taille » écrit ainsi Thibaud Gibelin. Symboliquement, la dénomination du pays change, pour évacuer le terme « république » dans la nouvelle constitution, laquelle place au contraire le régime dans la continuité des siècles antérieurs. Son préambule « consacre la famille et la nation comme cadres essentiels de la vie en communauté et honore le travail comme fondement de la dignité de l’homme ». Une déclaration aux antipodes de la macronie n’évoquant que la république abstraite et jamais la France charnelle pour faire litière du peuple et de son histoire !
C’est en application de ce principe que la Hongrie de Viktor Orbán s’est par exemple efforcée de remettre le plus de Hongrois possible au travail. C’est aussi pour cette raison que Viktor Orbán s’oppose à la spécialisation économique du continent qui ferait « de l’Allemagne une usine où travailleront des Italiens, des Français et des Espagnols». Avec au bout la perspective déshonorante d’un revenu universel pour ceux qui n’accéderaient plus à l’emploi chez eux.
L’Europe centrale qui résiste
Au plan européen, Viktor Orbán montre aussi qu’il n’est pas nécessaire de sortir de l’UE – comme le prétendent chez nous les souverainistes nostalgiques – pour résister à l’hégémonisme allemand. En témoigne son opposition à la politique migratoire suicidaire de la Chancelière Merkel et sa défense de la famille et des valeurs traditionnelles, face à l’offensive de la révolution arc-en-ciel.
La crise des migrants de 2015 démontre en effet l’échec de l’Europe carolingienne, dirigée par une Allemagne « hégémonique en Europe et inconsistante à l’extérieur» et qui, pour cette raison, mélange curieusement autoritarisme et faiblesse. Parce que, face au chaos migratoire, le droit et le marché, ces deux piliers de l’UE, ne fonctionnent plus. Alors l’Allemagne impose l’idée d’organiser les migrations (en répartissant autoritairement les migrants entre les Etats et les territoires), de les négocier avec la Turquie, faute d’avoir la force et le courage de les arrêter ou de les inverser.
Une involution qui traduit bien l’épuisement du modèle libéral/mondialiste, que la Hongrie et les pays du V4 n’acceptent pas et contre laquelle ils résistent effectivement non par des mots, mais en rétablissant des frontières et en refusant l’islamisation de leur patrie. Car comme l’a rappelé Viktor Orbán : « modifier la composition ethnique d’un pays revient à modifier son identité culturelle».
La résurgence de l’Europe centrale face à l’effondrement de l’Europe carolingienne
Thibaud Gibelin explique que la dissidence pragmatique incarnée par Viktor Orbán correspond parfaitement à la position de dépendance des pays du V4 vis-à-vis de l’UE : un exit n’aurait pas de sens pour ces pays.
Mais cela ne les conduit pas pour autant à la soumission, bien au contraire. En témoigne aussi la campagne menée contre l’action des fondations et ONG de George Soros, lui-même d’origine hongroise, qui militent pour la société ouverte, expression orwellienne désignant en réalité l’asservissement des peuples où « la transparence garantit l’opacité des vrais leviers d’influence, où la corruption désigne la résistance opposée aux corrupteurs de la finance internationale, où la liberté n’est que l’isolement de l’individu face au marché ».
Les pays du V4 profitent aussi de la crise que traverse l’UE. Car ils savent très bien que l’Europe de Bruxelles ne résisterait pas à de nouveaux exit. Ils regardent donc les campagnes périodiques de diabolisation conduites par la Commission ou le Parlement européen, avec une certaine distance : les chiens bruxellois aboient mais la caravane, même si elle doit parfois composer, continuera son chemin !
L’Europe de Visegrad a aussi compris que la crise de confiance qui touche la première puissance du monde occidental, ajoutée au Brexit, « brise l’universalisme occidental de l’intérieur. À rebours de l’universalisme obsessionnel de Bruxelles, une clarification politique et identitaire se profile : comment intégrer la Turquie à l’UE quand on se sépare de l’Angleterre ? ».
Une nouvelle Europe est possible
Laquelle des deux Europe l’emportera : l’Europe carolingienne mondialiste et dictatoriale, dirigée par l’Allemagne, ou l’Europe chrétienne et enracinée des pays du groupe de Visegrad, emmenés par la Hongrie ? On devine que les préférences de l’auteur vont à l’Europe de Viktor Orbán et dont l’émergence politique incarne à ses yeux « l’insurrection du réel ».
Mais dans l’état actuel des choses, les pays du V4 ne disposent pas à eux seuls d’une minorité de blocage au Conseil de l’UE : cela supposerait que de grands pays ou un grand nombre de petits États se joignent à eux. Une perspective que l’oligarchie mondialiste fait tout pour écarter, évidemment.
Thibaud Gibelin rappelle sur ce plan que le curieux scandale ayant mis fin à la coalition FPÖ-ÖVP en Autriche en 2017 avait certainement pour finalité de dynamiter « la clé de voûte populiste du continent. En effet l’Autriche sert de pont entre l’Europe centrale, l’Italie et l’Allemagne méridionale et orientale ».
Mais quand on voit ce que les petits pays du groupe de Visegrad arrivent à faire, on imagine ce qui se passerait si la France ou l’Italie, si l’Europe latine, rejoignait les positions de l’Europe centrale. Une nouvelle Europe naîtrait.
L’Europe du tombeau ou l’Europe des racines
La Hongrie et les pays du groupe de Visegrad montrent enfin que contrairement à ce que prophétisait Nietzsche dans un contexte différent, l’Europe ne se fera pas au bord du tombeau. L’Europe qui nous mène au tombeau c’est bien l’Europe de Bruxelles, mondialiste , immigrationniste et post-démocratique !
Non l’Europe ne rejaillira pas du néant, mais du retour assumé à ce qui fonde son identité de civilisation.
Et cela ne se fera pas tout seul mais imposera des sacrifices. Et du courage. Celui que doivent avoir chaque jour tous les dissidents qui refusent le naufrage de leur civilisation.
C’est bien pourquoi il faut, en ce début d’année, lire et méditer l’ouvrage que Thibaud Gibelin vient de consacrer à Viktor Orbán, « Pourquoi Viktor Orbán Joue et Gagne ».
Michel Geoffroy
Source : Polémia