Igor Dodon : Discours de Chișinău
Discours de Son Excellence, Monsieur Igor DODON Président de la République de Moldova Lors de la Conférence Internationale − Le 15 décembre 2017
Deuxième colloque de Chișinău (15-16 décembre 2017)
Chers amis
Bienvenue à ce prestigieux forum international,
Je suis heureux de voir que, grâce à un groupe d’intellectuels de premier plan venus de plusieurs pays, de telles réunions deviennent une bonne tradition pour la République de Moldova. Au mois de mai de cette année, j’ai eu l’honneur de rencontrer les organisateurs de ce forum, d’échanger des points de vue et de découvrir que nous avons des visions communes sur certaines des questions majeures du moment historique que nous vivons.
Je voudrais d’emblée préciser que je suis particulièrement reconnaissant aux initiateurs de cette plate-forme de dialogue international, car de tels événements augmentent le prestige intellectuel de notre pays sur le plan international. Je pense que les initiateurs de ce projet, d’envergure continentale, ont parfaitement raison de dire que la Moldavie est le meilleur endroit pour un tel dialogue. La Moldavie est un pays neutre, situé dans une zone de sensibilité géopolitique maximale ou, comme certains le disent, dans un espace de fracture, de tension entre l’Est et l’Ouest. Dans cet ordre d’idées, nous souhaitons que notre État devienne un facteur d’équilibre géopolitique, de convergence, de confluence entre les deux parties de notre continent, qui reste encore divisé à cause de raisons artificielles. La Moldavie peut et doit affirmer pleinement sa vocation de pont en or entre l’Occident et l’Orient.
Notre peuple a une identité collective bivalente : orientale et occidentale. Du point de vue de l’appartenance religieuse nous sommes orthodoxes – donc des Orientaux, tandis que, du point de vue de l’identité linguistique et culturelle, nous sommes latins – donc occidentaux. Et toute tentative de nous remodeler artificiellement, d’amputer l’une des deux composantes de notre essence collective et d’imposer des modèles étrangers est contre-productive, voire nocive. En d’autres termes, compte tenu de notre identité et de notre position géographique, la Moldavie ne peut se permettre de s’allier avec la Russie contre l’Europe ou avec l’Europe contre la Russie. Au contraire, la Moldavie peut et doit contribuer au rapprochement entre la Russie et l’Europe. Autrement dit, la Moldavie doit assumer sa mission historique de facteur actif et positif dans la réalisation du grand projet d’unité continentale que Charles de Gaulle définissait comme « l’axe Paris–Berlin–Moscou ».
Le thème choisi pour cette conférence est d’une grande importance pour tous les peuples du monde. Du capitalisme classique, basé sur l’éthique du travail, sur la responsabilité sociale et sur le principe de proximité, que nous avons connu par le passé, nous sommes passés à un modèle diamétralement opposé, imposé au cours des dernières décennies. La mondialisation a permis une concentration du capital sans précédent dans l’histoire, produisant des déséquilibres économiques catastrophiques entre les pays et les régions, mais aussi entre les couches sociales de « l’Ouest riche » d’autrefois.
L’un des effets les plus graves de ce modèle de globalisation est la migration massive de millions de personnes déracinées de leurs foyers et devenant des travailleurs non qualifiés sur les marchés du travail de pays étrangers. À cet égard, la Moldavie est l’un des pays les plus touchés du continent, car environ un million de Moldaves, représentant un tiers de la population du pays, doivent gagner leur vie à l’étranger.
En ma qualité d’ancien ministre de l’Économie et d’ancien vice-Premier ministre responsable du bloc économique et financier du Gouvernement, mais aussi en tant que docteur en économie, je sais bien que les graves problèmes socio-économiques de notre pays ne s’expliquent pas par le refus des gouvernements moldaves successifs de suivre les recettes et les directives suggérées de l’extérieur depuis vingt-cinq ans, mais précisément par leur poursuite trop docile. C’est pourquoi, après un quart de siècle de transition, la Moldavie doit repenser son paradigme de développement économique. Ce nouveau concept de relance économique ne repose pas sur un « isolationnisme économique » ni sur le mépris des règles des échanges internationaux. Mais, sans certains éléments de protectionnisme économique ou de « patriotisme économique » la Moldavie n’a aucune chance de surmonter son état actuel de sous-développement.
Le fait que la société moldave soit divisée selon des critères géopolitiques, historiques et ethnolinguistiques est bien connu. Néanmoins, si nos préférences idéologiques ou culturelles nous divisent, le nationalisme économique est le facteur fondamental de l’unité nationale, une vaste plate-forme commune dans laquelle tous les patriotes de notre pays doivent se retrouver. Et en ce sens, l’expertise que nous pouvons collecter auprès d’illustres personnalités, comme celles présentes aujourd’hui à notre forum, est indispensable. Chercher des solutions alternatives au « capitalisme financier » cela consiste, au-delà des réflexions strictement académiques, à générer des concepts viables qui englobent les dimensions géopolitique, politico-juridique, financière et économique. La Moldavie ne peut pas accepter un statut de périphérie ou de semi-périphérie dans un système mondial de type impérial. Les pratiques du colonialisme économique doivent être reléguées dans le passé.
De ce fait, pour rappeler qu’il ne s’agit pas d’un phénomène qui ne toucherait que de petits pays comme la République de Moldova, je voudrais citer deux exemples :
1. Les problèmes qu’une superpuissance mondiale comme la Russie rencontre dans son dialogue difficile avec l’Occident sont liés dans une large mesure au fait que ce pays ne veut pas abandonner sa souveraineté économique en faveur de la corporatocratie mondialiste. Autrement dit, Vladimir Poutine est un souverainiste qui, dans son dialogue avec le monde, part du principe de l’intérêt national de son pays.
2. Les dernières élections présidentielles aux États-Unis ont placé à la tête de cette hyperpuissance mondiale un représentant du même courant souverainiste, Donald Trump, qui a fait du principe « l’Amérique d’abord » un élément clé de son programme politique.
En ma qualité de Président de la République de Moldova, je tiens également à déclarer à cette occasion, fermement et sans ambages, que je suis également un adepte de la pensée et de l’action des mouvements souverainistes actuels.
Le moment est venu de se débarrasser des mythes néolibéraux, selon lesquels le succès économique d’une société est garanti par le soi-disant « petit gouvernement » c’est-à-dire par le retrait de l’État laissant fonctionner de façon autonome un marché auto-régulé suivant le principe magique de la « main invisible ». Nous avons besoin d’un État fort capable d’établir des règles de libre concurrence équitables, de créer et d’assurer le respect de prescriptions légales, fiscales et de prêt optimales, de mettre en œuvre des instruments douaniers au profit des producteurs nationaux et du marché intérieur. La thèse de la primauté de l’économique sur le politique doit être abandonnée, car c’est le facteur politique qui doit prendre en charge le destin du peuple, en tenant compte des intérêts de toute la communauté, en partant du principe d’équité et de solidarité sociale, et pas seulement de l’intérêt des superprofits, comme dans le cas des acteurs économiques privés dans le cadre des mégastructures multinationales.
Bien sûr, la Moldavie est aujourd’hui un pays fortement « dé-souverainisé » affecté par des influences extérieures qui ne sont pas toujours bénéfiques. Mais telle est la situation de la plupart des États du monde. C’est l’un des effets les plus dramatiques de la mondialisation unipolaire, qui développe un nouveau type d’impérialisme, de nature extraterritoriale, avec toutes ses conséquences négatives.
La construction d’une nouvelle architecture globale, dans laquelle chaque pays puisse s’affirmer pleinement, présuppose le développement de processus d’intégration impliquant un nombre de pays suffisant pour leur permettre d’avoir un poids stratégique, géopolitique et économique leur permettant de faire face à une concurrence mondiale féroce. Et dans le contexte de l’apparition de plusieurs pôles stratégiques, la Moldavie ne peut éviter de s’associer avec l’un des groupes de pays auxquels elle est liée par une multitude de facteurs – la seule option réaliste pour la Moldavie, conditionnée par toute son histoire, est donc eurasienne. Car, entre Lisbonne et Vladivostok, la voie de l’unité continentale passe par la République de Moldova.
Chers amis,
Grâce à vos efforts combinés, la Moldavie devient de plus en plus active sur la scène internationale, ce qui signifie que les chances de Chișinău de devenir un site de développement stratégique avec un impact continental augmentent considérablement.
Je suis très satisfait de cette réunion, et des nombreuses personnalités qui nous ont honoré de leur présence, venues d’Europe occidentale, de la Fédération de Russie, mais aussi d’autres pays de la région. Je suis sûr que si nous restons persévérants, solidaires et motivés pour produire des changements positifs ayant un impact historique sur notre avenir, alors, à la troisième réunion du Forum de Chișinău, nous serons encore plus nombreux et plus convaincants au niveau mondial.
Je tiens à vous assurer, chers invités, que vous avez en ma personne un bon ami, un soutien sincère et fidèle. Je vous attends en République de Moldova aussi souvent que vous jugerez bon de nous rendre visite, pour des débats publics, des tables rondes, des lancements de livres ou d’autres événements, afin d’intensifier nos échanges d’idées, de pensées et de visions.
Je souhaite conclure ce discours par une expression que nous employons depuis des générations : que Dieu nous aide !
Je vous remercie !
Source : Le Saker Francophone