La France et l'Afrique face à l'offensive islamiste - Entretien avec Bernard Lugan

20.08.2016
Bernard Lugan est un historien africaniste français. Il fonde la revue L'Afrique réelle qu'il anime toujours. Il a reçu en 1988 le prix M. et Mme Louis Marin de l'Académie française pour son livre "Huguenots et Français, ils ont fait l'Afrique du Sud".

Katehon - Prêtre égorgé pendant la messe, tuerie de masse, attentats à l'explosif, la France est frappée par la violence politico-religieuse. Selon vous, pouvons-nous établir un parallèle avec la décennie noire qui a touché l'Algérie dans les années 90 ?

Bernard Lugan : Non, parce que durant la « décennie noire », les islamistes algériens avaient pour but la prise du pouvoir afin de faire basculer tout le Maghreb. Il s’agissait d’une guerre civile. En France, primo, nous ne sommes pas en guerre, l’emploi de ce terme est d’ailleurs inapproprié. La guerre c’est ce qui se passe en Syrie ou en Irak alors que la France est en réalité confrontée à une menace terroriste d’ampleur réduite car le pays continue à vivre normalement. Secundo, les islamistes ne visent pas la conquête du pouvoir. Le risque serait la constitution de zones échappant au pouvoir central et à partir desquelles ils pourraient, dans une phase ultérieure, tenter de créer des califats.

Katehon - Le régime algérien a écrasé la rébellion islamiste sur son sol par les armes. La France devra-t-elle prendre le même chemin ?

Bernard Lugan : Une fois encore non. Des mesures de simple police suffiraient en effet à écarter une grande partie de la menace. Le problème est que nos hommes politiques ne se servent pas de l’arsenal juridique que la Constitution leur offre. Leur crainte n’est pas l’islamisme et le terrorisme, mais les réactions que de futurs attentats pourraient produire avec une prise de conscience de la population. Ils savent qu’ils auraient alors des comptes à rendre : pourquoi avoir encouragé le « grand remplacement », pourquoi avoir encouragé le communautarisme, pourquoi avoir sous-traité la paix dans les banlieues aux salafistes, pourquoi avoir aboli les frontières, pourquoi avoir décapité la gendarmerie, pourquoi avoir désarmé moralement et militairement le pays, pourquoi avoir si longtemps refusé de désigner l’ennemi  etc. ?

Katehon - La France intervient militairement en Afrique parfois pour des raisons de lutte anti-terroriste. Ces opérations ont-elles des résultats contre le terrorisme islamique présent sur le continent africain ?

Bernard Lugan : Oui et non tout à la fois. Oui parce que la présence militaire française dérange le dispositif islamo-terroriste, non parce que les causes ne sont pas traitées. Ainsi au Sahel, l’incohérence est totale car nos forces luttent efficacement contre les bandes, mais, en même temps notre diplomatie est plus que complaisante avec les pays du golfe qui financent le salafisme.

Katehon - L'intervention de la France sur des théâtres d'opérations extérieures n'aggrave-t-elle justement pas la menace terroriste ?

Bernard Lugan : Ne pas lutter contre le terrorisme reviendrait à accepter de subir. Je pense que la question pourrait être formulée d’une autre manière : par certaines de ses interventions ou prises de position, la France n’a-t-elle pas favorisé le terrorisme ? Et là je répondrais alors que l’absurde intervention contre le colonel Kadhafi et que la stupide politique anti Assad ont effectivement créé des foyers terroristes.

Katehon - L'état islamique et ses nébuleuses opèrent en Afrique. Le continent peut-il lui aussi basculer dans une "guerre de civilisation" ?

Bernard Lugan : Dans toute l’Afrique de l’Ouest se livre actuellement une véritable guerre entre un islam enraciné dans des traditions locales et un islam à vocation universaliste et révolutionnaire importé d’Arabie. Ce dernier aurait, selon les estimations, réussi à convertir entre 20 et 40% des musulmans ouest africains.

Les jihad africains d’aujourd’hui ne concernent donc que les musulmans car nous ne sommes pas (encore ?) en présence d’un front musulman face à un front chrétien, sauf sur certaines périphéries (Nigeria,  Kenya ou Centrafrique). Le phénomène que nous observons est celui d’une tentative de prise de contrôle des populations musulmanes africaines par les partisans d’un islam importé d’Arabie. Pour ces derniers, l’islam traditionnel ouest africain doit être « purifié » car il est considéré comme déviant et hérétique par les wahhabites. La purification passe par le retour au seul Coran et par le refus de toute tradition humaine, par définition polluante du message divin. Pour les wahhabites, tout ce qui n’est pas prescrit dans le Coran doit ainsi être combattu.

Aujourd’hui, les normes visibles du wahhabisme s’affirment au grand jour : burqa,  séparation des sexes, nouveaux rites mortuaires, prière de nuit (tahajjud) et la plus visible par les musulmans, la prière les  bras croisés,toutes pratiques jusque-là inconnues au sud du Sahara. Ayant désormais pignon sur rue, les imams saoudiens, qataris et pakistanais expliquent aux populations africaines que leur retard est dû parce ce que leurs dirigeants ont voulu imiter l’Occident. Le chemin du progrès et de la libération passe donc par le renversement de ces derniers, par le rejet des valeurs impies et par l’adhésion à l’islam authentique.

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